EXTRAITS CHOISIS

Avant-propos

À qui peut-on se fier aujourd’hui ? Même les livres de géographie nous mentent. Voilà pourtant un domaine où les statistiques ne devraient pas être soumises à contestation. Et pourtant… Dès notre plus jeune âge, on nous apprend ainsi que notre pays, la France, ne compte que 550000 km2. S’ensuit généralement un commentaire expliquant que nous ne pesons pas lourd face aux grandes nations de ce monde, sauf à se fondre et à se compter dans une vaste Europe… Et les dictionnaires confirment ce que disent nos manuels scolaires, à l’exemple de cette définition trouvée dans Le Petit Larousse : «La France est aujourd’hui une puissance moyenne, couvrant seulement 0,4% des terres émergées et comptant à peine plus de 1% de la population mondiale.» En matière de conditionnement des jeunes cerveaux, on n’a rien à envier aux démocraties totalitaires ! Car toutes ces affirmations sont fausses ou, à tout le moins, incomplètes. La France ne se réduit pas en effet au seul Hexagone mais comprend aussi des départements et des territoires outre-mer, portant notre superficie totale à 675000 km2 (sans prendre en compte la terre Adélie, en Antarctique, et ses 432000 km2).
Plus important encore : la France est le seul pays à être présent sur quatre continents et sur tous les océans du monde. Ni les États-Unis, ni la Chine, ni l’Inde, ni la Russie ne se trouvent dans cette situation, et le Royaume-Uni ne peut plus revendiquer une telle omniprésence. En ce début de XXIe siècle, c’est désormais sur la seule France que «le soleil ne se couche jamais».
Concrètement parlant, la France est le seul «empire» digne de ce nom sur la planète. Sur tous ces territoires, pourtant très éloignés les uns des autres, c’est la langue française qui prévaut, les lois de la République qui s’appliquent et nos gendarmes qui sont partout présents.
Cela pourrait tenir de la seule anecdote si cet «empire français» n’était pas aussi et surtout maritime, ce qui est essentiel pour son avenir et son développement. Le domaine maritime français, fort aujourd’hui de 11millions de km2, est ainsi considéré comme le second par sa superficie et le premier par sa diversité, donc sa biodiversité. Seuls les États-Unis disposent d’un domaine comparable à celui sous souveraineté française, mais ils sont absents de l’océan Indien et de l’océan Austral. À titre de comparaison encore, l’Angleterre, jadis reine des mers, a un domaine maritime de 4 millions de km2, soit presque trois fois moins que le nôtre.

C’est d’autant plus un atout pour notre pays que nous possédons et maîtrisons presque toutes les techniques et tous les savoir-faire qui nous donnent la capacité d’exploiter au mieux les ressources de ces océans, permettant dans le même temps de répondre aux grands défis auxquels est confrontée l’humanité : la question des réserves en eau douce, celle des ressources énergétiques et le problème de l’alimentation de milliards d’êtres humains.
Même si d’autres pays, comme le Japon, les États-Unis, le Canada, l’Australie ou la Norvège, partagent avec nous tel ou tel savoir-faire, nous sommes les seuls à maîtriser l’ensemble de ces techniques. Aussi, une volonté politique affirmée en la matière serait de nature à nous procurer une avance déterminante et à favoriser un développement économique de la France en général et de l’outre-mer en particulier.
C’est le colonel de Gaulle qui affirmait en 1934, dans Vers l’armée de métier : «Confondre l’intérêt permanent de la France avec un grand idéal humain, voilà qui serait beau et, en même temps, profitable !» Beau et profitable sont deux adjectifs qui résument assez bien l’enjeu d’une grande politique maritime pour la République française, qui possède à l’évidence le potentiel pour se réinstaller d’ici à cinquante ans dans les tout premiers rangs des puissances mondiales.
Cinquante ans, c’est le temps qui sera nécessaire pour recueillir les fruits d’une politique ambitieuse, moderne et planifiée, sur le modèle des réussites précédentes, par exemple dans les domaines du nucléaire, de l’armement, de l’aérospatiale ou de l’agriculture.
Mais l’action doit être engagée sans attendre et au plus haut sommet de l’État, en commençant par dresser un inventaire objectif et exhaustif de notre potentiel maritime, complétant d’intéressants travaux réalisés au cours des dernières années.
Il s’agit ensuite d’affirmer et de prendre en compte au quotidien la dimension «impériale» de la France, qui ne doit plus être assimilée au seul Hexagone.
Dans ce contexte, on aura compris que l’État doit retrouver toute sa place, celle qui permet d’engager l’avenir du pays à long terme, ce qui ne peut pas être laissé à la seule initiative du secteur privé. Participation! La participation active de l’ensemble des forces vives du pays à ce grand défi est la clé du succès. Le défi maritime français doit sortir des cercles de spécialistes et experts de tous poils, il ne doit plus être l’apanage des seuls élus du littoral. Pour que ce défi soit compris et relevé, les «Français de l’intérieur» doivent s’engager! Les deux auteurs revendiquent n’être ni scientifiques ni spécialistes reconnus des questions maritimes ni «enfants du littoral» mais simplement passionnés de la France, de géostratégie et issus des terres tarnaises et bourguignonnes. Des Tarnais, comme le navigateur-explorateur du XVIIIe siècle le comte de La Pérouse, l’amiral Jaurès, ancien ministre de la Marine (1889), le médecin-aventurier castrais Jean-Louis Étienne ou encore le navigateur-compétiteur nivernais Alain Colas sont d’ailleurs l’illustration que cette «France-sur-Mer» doit beaucoup à ces marins, découvreurs, chercheurs, scientifiques venus de la France continentale, celle de l’intérieur. Cette distanciation n’est-elle pas finalement le meilleur gage d’une certaine liberté et d’une longueur, si ce n’est hauteur, de vue ? Cet éloignement de la mer n’est-il pas un avantage pour faire bouger les esprits et convaincre nos concitoyens que notre pays peut enfin devenir une nation maritime et ainsi retrouver des raisons de croire, d’espérer en renouant avec sa vocation universelle et son rang de puissance mondiale ?
Évidemment, à l’énumération de ces «lubies gaulliennes», nous entendons déjà ricaner les esprits chagrins, les dignes descendants de ceux qui appelaient à se résoudre à la défaite en juin 1940 ou qui fustigeaient les programmes nucléaire et aérospatial, entre autres, mis en place par le général de Gaulle, engageant il y a cinquante ans le pays sur la voie du redressement.
Ne leur en déplaise ! La France, aux dimensions de son empire terrestre et maritime, possède aujourd’hui les atouts pour «refaire 1958» et viser les sommets à l’horizon 2058.

 
Le Métropolicentrisme
La France souffre d’un mal curieux : le «métropolicentrisme». Il s’agit très simplement d’une négation inconsciente de l’outre-mer ou d’une réduction de notre horizon aux limites de l’Hexagone. Seuls des incidents graves (cyclone, crises sociales, grèves records…) parviennent à mettre nos territoires ou communautés d’outre-mer à la une des journaux télévisés métropolitains. Le reste du temps, la plupart du temps, c’est silence radio – sauf bien sûr dans les médias spécialisés, comme RFO, France Ô, privilégiés par la communauté ultramarine résidant en métropole. Les événements sociaux récents des Antilles et leurs flots de commentaires ont également révélé le niveau d’intégration de cette France de là-bas dans les mentalités politiques. Pas étonnant que, dans un tel contexte, les sondages réalisés pendant les dernières crises martiniquaise et guadeloupéenne aient donné une majorité de métropolitains (51 à 56%, selon les sondages) qui souhaitent un désengagement de la France de ces lointains territoires.
 
Les politiques maritimes

«Je suis venu aujourd’hui au Havre réparer un oubli historique, l’oubli trop long qu’a fait la France de sa vocation maritime.» C’est par ces mots, comme d’habitude très directs et sans nuance possible, que Nicolas Sarkozy a entamé son discours, le jeudi 16 juillet 2009, sur la politique maritime de la France...
...«Je suis venu vous dire que la France devait cesser d’ignorer le formidable destin maritime qui peut être le sien», a poursuivi le président de la République.
... Aussi, même s’il convient de rester prudent, quant à la suite concrète d’annonces contenues dans les discours solennels, on constate avec plaisir qu’un chef d’État français a, pour une des rares fois de notre histoire, consacré toute une intervention à la politique maritime de la France, appelant «à renouer les fils d’une histoire riche, tumultueuse et millénaire entre la France et les océans».

 
Relever le défi océanique
Au cours des premiers travaux du Grenelle de la mer, les élus des collectivités territoriales d’outre-mer et no-tamment Jean-Pierre Roumillac et Frédérique Racon, élus de Guyane, ont ainsi apporté leur contribution à la réforme de la politique européenne de la pêche. Mais ce qu’on retient tout particulièrement, ce sont leurs propositions pratiques permettant d’instaurer un système de représentation tenant compte du périmètre géographique maritime concerné et du poids des activités maritimes pour le territoire. Ils rappellent aussi que la France, de par sa position géographique planétaire, participe à plusieurs conventions internationales sur la gestion des océans et espaces marins particuliers et qu’il conviendrait de mieux y associer les élus des territoires situés au cœur de ces espaces. Enfin, ils suggèrent d’engager un important chantier sur l’organisation des centres de formation et en particulier des lycée smaritimes, dont l’implantation doit correspondre aux zones géographiques des régions maritimes et littorales. Ceci facilitera la spécialisation des lycées et des centres de formation en fonction des métiers particuliers requis dans chacune de nos régions maritimes. Et l’on sait que notre France-sur-Mer est diverse!
 
La France en pire ou en mieux ?
Il est des moments de la vie d’une nation où il faut se poser les vraies questions. C’est ce que fit le général de Gaulle en 1958, et ce ne fut pas sans douleur, notamment pour ce qu’ont été les circonstances de l’accession de l’Algérie à son indépendance. Mais quant à celle qui fut pacifiquement proposée à nos anciennes colonies africaines, convenons qu’il existe peu d’exemples dans l’histoire du monde de telles «séparations à l’amiable» à l’initiative d’une grande puissance. Cinquante ans plus tard, on perçoit à l’occasion de tel ou tel événement, comme ce fut le cas pour les mouvements sociaux qu’on a connus dans les Antilles, que les Français de métropole s’interrogent sur la pertinence de conserver cet «empire». Il est vrai aussi que la grande place laissée à l’expression des mouvements indépendantistes conforte, chez certains, à Paris, des sentiments de culpabilité latents. C’est tellement vrai que l’on est étonné de constater à quel point il est aujourd’hui difficile d’employer le terme d’empire en parlant de la France, suscitant presque immédiatement un sentiment de crainte ou de dégoût chez nombre d’interlocuteurs ; un peu à l’image de ces noms ou de ces mots qu’on s’interdit de prononcer dans certaines familles… Il y a pourtant une acception tout à fait banale et «acceptable» du terme que nous rappelions en introduction, à savoir «un ensemble de territoires relevant d’un gouvernement central». On en vient là, comme dans de trop nombreux domaines, à s’autocensurer et à adopter ce fameux «principe de précaution», comme s’il fallait éviter de réveiller de vieux démons et se garder d’effaroucher amis et partenaires. Il est vrai que nous sommes traversés par des modes, et celle du moment semble plus encline à vanter les fastueuses réalisations de nos rois qu’à dresser un bilan flatteur de nos empires!