EXTRAITS CHOISIS

Prologue : Les princes du Parc

En ce 7 juin de l’année 1960, le printemps réchauffe la porte de Saint-Cloud et le Parc des Princes est archi comble pour accueillir une affiche de rêve dans le cadre du tournoi de Paris, avec la participation de l’équipe brésilienne du football club de Santos qui va être opposée au prestigieux Stade de Reims, auréolé d’un formidable doublé championnat-coupe de France.
L’affiche est d’autant plus alléchante qu’il s’agit en quelque sorte de la revanche de la demi-finale qui avait opposé deux ans plus tôt en Suède les équipes de France et du Brésil et qui avait laissé beaucoup de regrets aux supporters tricolores.
La télévision étant alors un objet rare dans les foyers, j’ai le souvenir lointain d’avoir suivi ce match grâce à la TSF mais je me souviens beaucoup mieux d’avoir pu visionner le match de classement – gagné par les Français contre les Allemands sur le score de 6-3 – au milieu d’un groupe de badauds massés sur le trottoir de la rue de la Tour devant la vitrine d’un magasin de télévision qui avait gentiment laissé allumé l’un des postes.

Deux ans après cette coupe du Monde, on retrouvait donc à Paris les joueurs brésiliens champions du monde avec à leur tête le déjà célèbre Pelé et en face les Kopa, Fontaine, Piantoni et autres Jonquet ou Vincent, autant dire l’ossature de l’équipe de France.
Ce match, gagné par Santos 5 buts à 3, je le revois comme si c’était hier et je garde en mémoire l’ambiance exceptionnelle qui régnait, notamment lorsque Reims, juste après la mi-temps avait réussi à égaliser puis que Pelé avait porté l’estocade en partant du milieu du terrain et trompé le gardien Colonna après avoir dribblé 4 à 5 joueurs.
C’était la première fois que j’assistais à un match de football de ce niveau dans le mythique Parc des Princes et à vrai dire je n’ai jamais revu un spectacle d’une telle qualité depuis lors.
Pourtant, j’ai eu l’occasion dans les années qui ont suivi de retourner au Parc des Princes et d’assister à des rencontres de haut niveau, notamment à des matches de coupe d’Europe avec Reims, mais ce n’était ni la même qualité ni la même intensité.
Avant la destruction de cet ancien Parc en 1968, j’ai vécu en revanche quelques belles arrivées du Tour de France qui s’achevait alors sur la piste rose de 450 mètres qui entourait la pelouse et là encore la ferveur populaire était au rendez-vous, même si je regrettais un certain manque d’enthousiasme à l’égard de mon idole, Jacques Anquetil.

L’après deuxième guerre mondiale n’a évidemment pas été le point de départ de l’engouement pour les spectacles sportifs. Il a en réalité pris naissance au début du XXe siècle avec les premiers grands événements sportifs : la création du Tour de France en 1903, la première rencontre internationale de l’équipe de France de football – contre la Belgique – en 1906, tandis que le baron Pierre de Coubertin avait opportunément lancé en 1896 les Jeux olympiques de l’ère moderne.
Cette dernière dénomination vient justement rappeler que le spectacle sportif est une invention qui remonte en fait à l’antiquité et l’on sait l’importance qu’avaient les «circenses» dans les sociétés grecques ou romaines. Mais au XXe siècle, leur nature va considérablement se modifier, notamment avec l’apparition et le succès des sports collectifs comme le football et le rugby et l’importance accordée aux sélections nationales.
Dans la période de l’entre deux guerres, c’est le fait national qui prime. Il suffit de se rappeler l’ambiance particulière des Jeux de Berlin en 1936 ou les rivalités nationales exacerbées lors des Tours de France de cette époque. L’enjeu économique était alors insignifiant et les instances sportives, qu’elles soient nationales ou internationales, étaient encore réduites au rang de joyeuses ami- cales disposant de moyens financiers pour le moins modestes.

Avec l’apparition et le formidable développement de la télévision dans tous les pays du monde, le spectacle sportif va changer de nature et surtout de dimension. Et ces structures sportives vont peu à peu, et le plus souvent hors d’un véritable contrôle, devenir des entités détenant des pouvoirs considérables, capables d’imposer leurs propres lois aux États et aux collectivités publiques.
À une autre échelle, nos villes et nos villages sont soumis pour leurs installations sportives à des normes draconiennes, pas toujours justifiées, qui conduisent à des renchérissements incessants qui sont au bout du compte supportés par le contribuable au détriment d’autres investissements et d’autres priorités.
Tant au plan international que national, il est plus que temps pour les responsables politiques de tout niveau de reprendre la main et de récupérer une souveraineté légitime qui leur a peu à peu été con- fisquée par un pouvoir sportif tentaculaire et parfois cynique.
Pour autant, notre propos n’est nullement de nous livrer à de l’investigation ou de révéler tels ou tels scandales cachés ; d’autres l’ont déjà fait et continueront à le faire. Il nous revient en revanche d’observer et d’analyser sereinement ce qu’est devenu le sport et le rôle éminent accaparé par les organismes qui le dirigent.

Nous aimons trop le sport et les valeurs qu’il transmet pour ne pas appeler à un sursaut des responsables politiques de la planète afin de le remettre sans attendre dans le droit chemin, celui qu’avaient su tracer ces créateurs géniaux qu’ont été Pierre de Coubertin, Henri Desgrange ou Jules Rimet.